La bibliothèque en vadrouille n°126


 

 

Lieu : Lussas, Ardèche, Auvergne-Rhône Alpes
Date : du 20 au 23 août 2018

NB : EG = États Généraux

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ÉTATS GÉNÉRAUX DU FILM DOCUMENTAIRE

 

La bibliothèque en vadrouille s’est rendue à Lussas pour assister à la trentième édition d’une manifestation célébrant le documentaire de création. Lussas, petit village connu partout sur la planète pour être un lieu carrefour où beaucoup d’amateurs et professionnels du cinéma-vérité se croisent et se rencontrent tous azimuts. En écho à la soirée tenue le 23 août inaugurant la thématique Sur le point de voir via un chantier public coordonné par César Vayssié et Monique Peyrière, nous avons souhaité arpenter le festival et partir à la rencontre, parfois de personnes connues et d’autre fois par le fruit du hasard, de personnes inconnues, amateurs & passionnés habitués ou nouveaux dans les rues de Lussas. Résultat : une déambulation sonore avec plusieurs témoins (étudiants en cinéma, animateurs d’une association d’éducation à l’image, programmatrice de festival, réalisateurs, membres de l’équipe d’Ardèche Images, libraire,…) un portrait sonore et sensible de ce qui se trame à Lussas, un endroit singulier, comme en témoigne cette évocation historique publiée sur le blog de TENK, quelques jours avant le début des États généraux du Film Documentaire.

A la manière d’un carnet de notes, voici donc de manière chronologique, relatées les diverses rencontres faites durant quatre jours « in situ ». 10 étapes, 10 instantanés, des voix en zigzag!

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Lundi 20/08

 

Arrivée en début d’après-midi : installation de la tente dans le camping sauvage. Premières allées et venues dans le village. Nous choisissons de débuter par la séance de la programmation Expérience du regard, prévue à 21h15 au moulinage. Projection du film de Filippo Filliger A l’origine, de deux ciné-tracts de Frank Smith et du film manifeste Les fantômes de mai 68 (de Ginette Lavigne, Jean-Louis Comolli, avec des images de Michel Andrieu et Jacques Kébadian). Un court entretien avec Filippo est écoutable en se reportant au jeudi #9, car réalisé durant le DJ set au Blue Bar.

Écoute de quelques bribes du débat après ce film qui est une tentative de prolongement du livre édité chez Yellow now. Parmi les personnes prenant la parole, nous reconnaissons la voix de François Caillat qui nous accordera un long entretien au sortir des EG (à écouter #10).

Légende : Débats animés par Dominique Auvray et Vincent Dieutre, programmateurs de la section
Expériences du Regard.

Genèse du projet :

Jacques kébadian et l’archive :

Réaction d’un spectateur :

François Caillat s’exprime, puis Ginette Lavigne poursuit en évoquant la mémoire des luttes politiques et les rares victoires ouvrières :

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Mardi 21/08

Séance matinale (10H) : L’Esprit des lieux à la salle cinéma. Découverte d’un film très subtile à la réalisation sonore et photographique extrêmement soignées. Portrait de Marc Namblard, guide naturaliste, audio-naturaliste et artiste sonore vivant dans les Vosges. Les deux réalisateurs ont su avec discrétion suivre Marc dans diverses situations. A la vue de ce film, on songe à certains passages de Maurice Genevoix : «  Je ne sais combien de temps je restai près de cet étang. Plus j’allais, plus il me semblait fascinant. Les arbres mêmes me dépaysaient, relevaient d’essences inconnues. Hautains et sombres, ils dressaient maintenant côté à côte des troncs monumentaux, striés de longues cannelures qui déconcertaient le toucher. » (Un jour, p. 14, Livre de Poche, 1977) – tant sa dimension sensorielle est perceptible. Ou bien encore ce fragment lu chez Jacques Lacarrière : « Un sourire extatique parcourut le visage d’Avenir et il demeura immobile à côté d’Ancelot, les bras ouverts vers les proches ramures, à la façon dont le matin même il les avait tendus vers les branches du chemin, à la façon aussi de saint François prêchant aux oiseaux rassemblées. Mais ici nul bruit ne se manifestait ni aucun pépiement d’oiseau. Si ce n’est brusquement sur un arbre lointain un chant dément, hystérique et interminable, composé de kit-kit-kit kar-kar forcenés suivis de iou-iou-iou sonores et prolongés. Un chant impressionnant qui perturba longtemps toute la forêt environnante. Ancelot n’apprit que par la suite la nature de ce cri, le nom de cet oiseau : c’était le chant d’alerte et de panique de la rousserolle turdoïde. »  , p. 89-90, in dans La forêt des songes, Nil édition, 2005.

A noter : Marc Namblard sera invité au centre culturel d’Auxelles-Haut (Territoire de Belfort) à la Toussaint à l’occasion de la valorisation annuelle du pôle thématique Arbres Forets Bois.

Légende : J-M Barbe et Cléo Cohen, réalisatrice de Avant le départ et le public qui s’installe avant la projection

Le plein air à 21H30 propose deux projections dont le film manifeste Libre de Michel Toesca qui invite à réfléchir ce que signifie le verbe accueillir dans la vallée de La Roya, où un berger (Cédric Herrou) avec d’autres individus sont confrontés aux aberrations ubuesques de la politique migratoire de l’UE.

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Mercredi 22/08

#1 Françoise Janin, bénévole :

Premier témoignage sonore récolté, en compagnie de Françoise qui est bénévole depuis 2001 aux EG, elle s’occupe des projections hors les murs. Elle se souvient d’une année, où la vidéothèque fut installée à la cave coopérative, un cadre pour le moins incongru…

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10H15 : Visionnement de Adieu l’hiver, un très beau film de la programmation Histoire de DOC : RDA. Un film réalisé en 1988 par Helke Misselwitz, portrait kaléidoscopique en noir et blanc de femmes est-allemandes de toutes générations.

14H30 : Visionnement de On Animal Locomotion, un court métrage réalisé par Johan van der Keuken en 1994. Partition qui pulse en rythme avec la musique Willem Breuker.

Visionnement à la vidéothèque de Bruno Dauphin (11’), le film de Valérie Mréjen*.
* cf un aperçu d’une rencontre à Besançon, avec Valérie en septembre 2017.

#2 Bruno Dauphin, acteur :

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Nous rencontrons ensuite Bruno Dauphin, l’acteur-personnage unique de ce film dont l’action se déroule dans un appartement, où Bruno retrouve et commente divers effets personnels qui le plongent dans son passé. Bruno très disponible évoque ce film forcément très personnel pour lui. Il relie la genèse de ce film à un ami très proche Jean-Baptiste Germain qui l’a présenté à la réalisatrice, un ami de longue date avec lequel il avait tourné Lac noir (2017).

#3 Marius et Liam, bénévoles :

Halte ensuite à la Maison du Doc, où nous retrouvons deux bénévoles qui viennent pour la première fois à Lussas : Marius et Liam, tous deux jeunes bacheliers, ils nous décrivent leur mission à la Maison du Doc.

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#4 Gene, documentaliste, fondatrice de la Maison du Doc :

Nous poursuivons par un entretien avec Geneviève Rousseau, documentaliste. C’est avec plaisir que nous discutons avec Gene, rencontrée pour la première fois il y a 17 ans à l’occasion d’un stage à la Maison du Doc, en 2001, au moment où s’installait la première promotion d’étudiants cinéastes en partenariat avec l’université de Grenoble. Retrouvailles régulières depuis 3 années, où nous pouvons venir plus régulièrement à Lussas (une séance en 2016, un jour et demi en 2017 et 4 jours en 2018). Gene se souvient d’une séance Plein air en 1996, Microcosmos, où tout s’imbriquait presque comme par magie, sons du film et de la nature environnante s’enchevêtrant simultanément.

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Légende : Sur le chemin du Bourgeon, à Lussas les idées foisonnent… Verre de l’amitié : Filippo Filliger, Noël Claude et Denise Bedouet à la coopérative.

#5 Denise Bedouet, programmatrice bénévole :

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Poursuite des entretiens : rencontre avec Denise Bedouet, venue de Nantes, membre de l’association Visages (Rezé) qui organise chaque année en mars un forum dédié au cinéma social. Travailleuse sociale récemment en retraite, Denise vient pour la seconde année consécutive à Lussas et s’investit très professionnellement dans cette nouvelle activité de programmatrice. Cet entretien est légèrement perturbé par quelques rafales de vent au début de son écoute. Elle se souvient du film Le saint des voyous découvert à Lussas, en 2017.

 

21H15 : Projection de Ne travaille pas (1968-2018) : un film expérimental-manifeste de César Vayssié qui présente le contexte de ce projet quelques minutes avant la projection de son film :

Présentation du film par son auteur :

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Jeudi 23/08

#6 Jean-Michel & Béatrice, programmateurs salariés :

Rendez-vous matinal vers 10h avec Jean-Michel et Béatrice venus tous deux du Tarn-et-Garonne pour visionner bon nombre de films aux EG et à la vidéothèque. Tous deux, autour d’un café se souviennent de leurs régulières venues à Lussas. Jean-Michel évoque notamment un moment marquant, la découverte de Closed District, un film de Pierre-Yves Vandeweerd. Rencontre qui conduit à la programmation plus tard du film dans le village de Saint-Vincent-Lespinasse (246 habitants). Éducation à l’image, projection chez l’habitant, ces deux passionnés qui arpentent les salles de Lussas depuis 15 ans, animent avec énergie et dynamisme, Les hivernales du Doc, une association dont l’action se déploie en milieu rural.

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#7 Tony, libraire, bouquiniste itinérant :

Après une pause de quelques heures hors de Lussas, nous revenons dans le village en milieu d’après-midi et nous nous arrêtons sur le stand de Tony, bouquiniste & libraire itinérant (colporteur dans le Sud de la France l’été) venu de l’Aube qui anime la librairie LIBERTALIA à Courtenot. Très simplement, nous conversons avec lui, Tony tente de dresser le portrait du lecteur des EG. Il nous recommande ensuite la lecture de Bolobolo, un livre de P.M. édité en 1983 (en allemand) dont la version française a reparu en 2013 aux éditions L’éclat.

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#8 Coline & Kylian, étudiants :

19h30 : Sortie de l’écoute d’une pièce sonore de Whadat experience intitulée To rurality, à l’école du doc. Rencontre avec Coline et Kylian, deux très jeunes étudiants en audiovisuel (Villefontaine et Aubagne), qui présenteront aussi en off, un film d’études qu’ils évoquent rapidement.

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21H : Soirée Chantier Public, Sur le point de voir.

Cette séance au format long (3 heures) adopte un dispositif particulier pour tenter de réfléchir à ce que peut représenter une expérience de spectateur. Plusieurs témoignages ont été récoltés en amont par diverses personnes ayant souhaité faire parvenir un texte.

Alternant entre improvisation et partition organisée, César Vayssié et Monique Peyrière ont ainsi déroulé une trame proposant successivement des prises de parole collective, des projections vidéo, des archives (images et sonores). Une interprète, un cinéphile qui évoque Sokourov, des personnes du public prenant spontanément le micro. Un charivari d’échos et d’impressions se superposant dans une ambiance proche de la veillée décrite par Georges Balandier : « Les veillées ne sont pas associées à des tâches, mais au plaisir d’être ensemble, au plaisir de la présence mutuelle en s’abandonnant à l’imprégnation par la nuit. Chacun semble se laisser être, jusqu’au moment d’apprécier une façon de « bain de minuit social », de petit bonheur d’avant-sommeil. La nuit s’impose lentement, elle ouvre des coupures de silence, elle transforme, par ses variations de clarté, les alentours et l’image de chacun. Lorsque les enfants sont présents, elle devient l’occasion de leur transmettre en vision directe ce que l’on connaît de la carte du ciel, de leur enseigner les astuces de repérage. Les nuits bleues très étoilées sont les plus propices aux épisodes de contemplation et d’interrogation inquiète. D’interrogation sur le « magnifique monde d’en haut » et « ce que c’est que de nous », traductions libres et sensibles qui expriment des impressions d’infiniment grand et d’infiniment petit. » ( p. 26-27, in Carnaval des apparences, Fayard, 2012).

 

La campagne proclame J-M Barbe dans une archive du 23/08/1996, « c’est un lieu où tout peut se faire » (…) Paris réussi bientôt 30 ans après, tant Lussas fait autorité dans le monde entier, perçu comme un endroit où la pensée est « partout ».

Divers témoignages récoltés et entendus lors de cette soirée :

Paulette, bénévole à la médiathèque de Lussas et maman d’une fille réalisatrice :

Témoignage d’une interprète :

Souvenir autour de Couronnement de Sa Majesté Impériale Bokassa (1978, 32 min) diffusé en 2003 :

Un amateur cinéphile-passionné évoque Sokourov :

Un auteur d’un des textes se souvient du théâtre du moulinage (fondé par Isaac Alvarez) :

 

 

Minuit … la soirée s’est poursuivie autour d’un verre au Green bar. Aux abords de ce café à ciel ouvert sous les étoiles, une foule joyeuse se rassemble et discute tous azimuts. Marie Losier est apostrophée de nombreuses fois par un auditoire bienveillant qui salue la projection de « Cassandro the exotico! » After au mythique Blue Bar, un DJ SET enthousiasme le public qui commence à se déhancher.

#9 Filippo Filliger, cinéaste :

Dans ce bal général, nous retrouvons Filipo Filliger, venu présenter A l’ origine en début de semaine. Ce sont véritablement des retrouvailles car nous avions fait la connaissance de Filippo en février 2017, à l’occasion de la présentation de l’un de ses autres projets (L’absence de gouvernail) à Porrentruy (Suisse). Discussion dans un endroit insolite, une petite salle où la sonorisation est installée (console et câbles divers), toute proche des enceintes du DJ, entretien-dancefloor au cours duquel Fillipo dresse en quelques mots justes, le portrait de l’écosystème Ardèche Images. Un ressenti que le jeune réalisateur genevois a forgé peu à peu au fil des jours depuis son arrivée à Lussas.

A l’origine : Des lettres lues en italien ponctuent le chemin fait par Filippo de Genève à Locarno. Des rencontres inattendues (une femme malade comme sa maman qui marche, une tatoueuse qui fume avant de lui dessiner un motif sur le doigt,…) accompagnent sa réflexion : J’affronte l’épuisement de mon corps pour chasser la mélancolie qui m’immobilise. Je veux filmer le sourire de ma mère encore une fois. Un film intime qui atteint l’universel.

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Légende : Filipo en discussion, une tente isolée mais reliée à la nature, interview pour Hors champ, le quotidien des EG et une rencontre avec la réalisatrice de Tan.

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Bonus

#10 François Caillat, cinéaste (par téléphone, le 28/08/2018) :

Au carrefour de Lussas, nous avions croisé, François Caillat, un cinéaste venu à plusieurs reprises dans l’Est de la France présenter ses films et notamment en novembre dernier à Bessoncourt (Territoire de Belfort) pour Une jeunesse amoureuse. N’ayant pas pu trouver un moment au calme dans le rythme frénétique (Freinet-ique) des EG, nous avons convenu de nous revoir pour réaliser un petit entretien par téléphone. C’est donc depuis Rome (où il réside en partie) que François nous a téléphoné : un entretien de près de 20 minutes, à bâtons rompus, où se dessine une forme de condensé temporel de plus de vingt années durant lesquelles il a arpenté le village. Écoute d’un libre penseur (auteur de plusieurs portraits de figures intellectuelles du XX° siècle dont Foucault) qui analyse avec finesse et générosité cet îlot singulier où le Documentaire, prend chaque année depuis 30 ans, ses quartiers d’été au cœur d’un territoire rural.

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Première partie :

Seconde partie :

Légende : Instantanés : Livres sur le tableau de bord une camionnette du camping sauvage, L’imaginaïre, nouveau bâtiment d’Ardèche Images, et une partie de quilles mölkky à proximité du stade communal.

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Texte rédigé pour la soirée chantier public :

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Passeport pour l’éphémère

Lussas, c’est le village global de McLuhan au cœur de l’Ardèche, entre pêchers odorants et prés verdoyants. Chaque été depuis 30 ans, se succèdent des individus tous azimuts, venus d’ici de là, partager leur passion du cinéma-vérité. Je me souviens d’un stage de trois mois à la Maison du Doc, au printemps 2001 durant lequel je rencontrai les premiers étudiants de l’université de Grenoble… longues discussions avec chacun et chacune pour observer et recenser leurs besoins documentaires : découverte d’un métier de l’intérieur, artisans de l’image en gestation, arpenteurs de mondes éloignés et /ou locaux, historiens & critiques, se remémorant cette pensée de Godard : « Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. » (Montage, mon beau souci, 1956) et inventant la leur : « Si venir à Lussas est un bonheur, y voir des films est un art des choix« , tant la programmation est vaste, rigoureuse et foisonnante. Je me souviens des projections en plein air et de l’accent de  Belinda, des voix haut perchées dans la nuit de Saint-Laurent-sous-Coiron, de la rue Le Village, où serpentent les habitués de cette atmosphère si singulière. Le seul festival de documentaire qui n’en est pas un, qui refuse la sinistre compétition et les tristes prix, préférant jubilatoires séminaires et discussions à bâtons rompus pour le plus grand bonheur d’amateurs passionnés qui papillonnent gaiement de salles en salles, dedans-dehors, portés par la vive lumière du Vivarais. Munis de le leur Passeport pour l’éphémère*, de récit en récit, ils reviendront sûrement pieds nus sur la terre.

* : Passeport pour l’éphémère, 1989, création du mime Isaac Alvarez.

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Texte, entretiens et photographies : Fabien vélasquez

Remerciements : Mathilde Bila (presses EG) et toutes les personnes rencontrées durant ces 4 jours.